Retour dans l’union européenne, dans l’un de ses pays les plus septentrional. L’Albanie aura été un petit test de passage de frontière (on travaille notre vitesse de dégainage de passeport) et un choc de culture. Alors quand on entre en Grèce, c’est le chemin inverse : tout de suite après la frontière une autoroute toute neuve nous attends, les déchets disparaissent, les rues sont plus organisées mais moins vivantes aussi. On fait un stop à Kastoria pour se familiariser à la langue Grecque, et ce n’est pas si facile. L’alphabet change, la construction des phrases et les sons aussi. On découvre le [d] légèrement zozoté (“podialto” = vélo) et le [rh] soufflé ou le [rr] roulé (“é[rh]oumé st[rr]omato” = nous avons des matelas). Bon, ce n’est quand même pas aussi compliqué que le chinois, on arrive à se faire comprendre assez facilement. Kastoria est une petite ville proche de la frontière, perchée sur la presqu'île d'un lac aux eaux bleues foncées. Nous y découvrons la douceur de vivre grecque: balades au bord de l'eau et dans les ruelles parsemées de maisons typiques, cafés en terrasse, etc. Et ce n'est encore rien paraît-il. En été nous explique-t-on, c'est toute la Grèce qui sort tard le soir pour remplir les parcs, les cafés, les plages. Les Grecs participent donc autant à la vague touristique estivale que les touristes étrangers, et on les comprend! D'ailleurs, quand on demande à Thessalonique dans quel endroit "beau et naturel" on peut aller pour passer quelques jours, on nous conseille Hakidiki, une des presqu'îles les plus ravagées par le tourisme de masse en Grèce… mmh raté. On enfourche nos vélos et on repart à l'assaut des kilomètres. Très vite, on remarque ces petits autels parsemés le long de la route qui témoignent de la foi importante des Grecs. Et puis au centre de chaque village, un grand bâtiment, surmonté de bulbes, eux-mêmes surmontés… de croix. Nous sommes revenus en terre chrétienne, mais nous sommes déjà en Orient, ici on est à 90% orthodoxes. Chose intéressante, l'église Orthodoxe n'a pas de chef spirituel comme le pape pour les catholiques. Elle est séparée en 14 entités autonomes dirigées par un patriarche. Ils considèrent simplement le pape comme le patriarche des catholiques, et non pas comme le chef de l'église, "Jésus seul pouvant assumer ce rôle". C'est le vatican qui doit être content.
Côté prêtres, devinez? On se fera jeter deux fois, avec toujours la même cordialité. A la deuxième, on insiste en montrant toute la place qu'il a dans les bâtiments annexes. Après nous avoir proposé l'argent de la quête (!!) et devant notre refus outré, il propose finalement de nous loger dans un cagibis. Moyennant 1h de ménage, on pouvait le rendre "habitable". Il a dû être étonné que nous acceptions car il est revenu au bout de 30 min pour prendre notre température en demandant si nous avions le Coronavirus (a ce moment là, seulement quelques cas en Italie, que nous avons quitté depuis plus de 3 semaines). Cherchait-il une bonne excuse pour nous mettre dehors? Notre trajet nous fait rester au nord de la Grèce par les régions de la Macédoine et de la Thrace, parmis les moins touristiques du pays. Et c'est tant mieux, nous découvrirons la Grèce des "travailleurs". Nous serons à chaque fois accueillis avec beaucoup de douceur et de bienveillance. Après Kastoria et notre nuit chez les sœurs, nous descendons doucement vers Thessalonique. Nous faisons étape à Edessa, petite ville provinciale en balcon au dessus de la plaine de Pella et connue pour ses grandes cascades en pleine ville. Après avoir négocié avec un garagiste albanais de dormir dans son arrière boutique, nous partons visiter la ville l'esprit libre. Mais à 19h, il n'est pas au rendez vous. Sa boutique est fermée et impossible de le contacter. On s'est fait planter? On arrive pas à y croire. Toujours est-il qu'il fait nuit, et qu'on a rien pour dormir. C'est alors que passe Sarkis avec son vélo de course. On lui saute dessus, d'autant qu'il arbore un t-shirt "Paris-Brest". Il n'hésite pas trop longtemps à nous inviter, mais il demande confirmation chez lui et la personne au bout du fil ne semble pas de cet avis. On se met donc dans nos petits souliers en arrivant. Quelle surprise alors de trouver derrière la porte le grand sourire d'Agatha et de leur 4 enfants! Avec une troupe pareille, et les deux parents qui travaillent, on comprend vite qu'il va falloir se fondre au mieux dans l'organisation. Alors on aide assidûment aux taches ménagères, on respecte à la lettre tous les timings, on occupe les enfants avec des origamis, des cours de langues, etc. Et on passe une excellente soirée avec eux, qui nous rappelle les WE avec Anaïck (la sœur de Clément) et toute sa famille. C'est aussi l'occasion de discuter de la crise grecque avec ce couple de fonctionnaires. Pendant la crise ils ont perdu 30 à 50% de leur salaire, ce qui est une chute vertigineuse. Mais quand on compare leur salaire actuel au coût de la vie en Grèce, on a l'impression que leur niveau de vie n'est pas très en dessous d'un couple de fonctionnaire de leur âge en France. Avant la crise, c'était Byzance? Loin de nous l'idée de dire que cette crise est justifiée, car une crise reste une crise, qui détruit l'économie et augmente les inégalités. Et ce sont les deux choses qui nous ont frappé en réalité. Quand nous expliquons notre voyage et notre situation, une des premières questions qui vient est "mais vous avez quitté votre boulot et vous pensez en retrouver un facilement au retour?!". Depuis la crise, le chômage a explosé alors quand on a un boulot fixe et salarié, plus question de le quitter. Ceci est accentué par le peu de mobilité des grecs, qui souvent n'envisagent pas de vivre loin de leur village d'origine. Du coup ils sont toujours très enthousiastes en écoutant notre projet, mais de là à envisager un départ pour eux, il y a un monde. Deuxième point : les inégalités. Il y a clairement des gagnants et des perdants dans la crise. Nous croisons beaucoup de petits villages délabrés, nous avons été accueillis par des gens très simples, et à côté de ça, certaines côtes et banlieues de villes ne sont clairement pas à plaindre. C'est une crise très politique et très clivante, on ne s'étendra pas en débat ici. Mais pour se documenter, quelques articles rapides à lire que nous avons trouvé intéressants :
Après Edessa, nous descendons dans la plaine jusqu'à Pella. C'est la ville de naissance d'Alexandre le Grand et capitale de ses aïeux. On s'y arrête pour enfin visiter quelques "vieilles pierres" qui nous ont fait défaut jusqu'à maintenant. Et on s'étonne de la modernité de la ville qui 300 ans av JC, avait l'eau courante et sanitaire dans toutes les maisons, produisait des statuettes en série, et frappait sa monnaie. On redécouvre aussi le personnage d'Alexandre le Grand, tout à la fois roi de Macédoine, Pharaon d'Egypte et roi de Perse, ça pète non? On se rend compte que notre trajet prévu jusqu'en Inde suit autant les pas de ses conquêtes (hormis son crochet par l'Egypte) que la route de la soie. Voici une source d'inspiration pour nos futures visites! A Pella, nous sommes accueillis par une très chouette famille de restaurateurs, qui sert quelques repas aux locaux en attendant que la saison touristique démarre. Ils nous invitent à partager leur soirée, accompagnée du succulent repas concocté par la mama. Elle s'inquiète du fait que nous allions a Thessalonique, grande ville dangereuse d'après elle. Son neveu éclate de rire et lui dit "mais ils vont en Inde, Thessalonique ce n'est rien tu sais!". On se pose la question de rester une ou deux nuit de plus, comme ils nous l'ont proposé au début. On aimerait pouvoir les aider au service ou en cuisine, mais on ne parle pas grec et ils n'ont pas beaucoup de client en ce moment. Peut-etre que leur proposition était aussi de la politesse? Dur à dire. Finalement on ne propose rien et on part avec quelques doutes et regrets, tant cette famille nous a touché par sa simplicité et sa bienveillance. On fonce ensuite sur Thessalonique sous une pluie battante et entre les camions. Une fois ce calvaire fini, on est très vite séduit par cette ville étudiante, qui regorge d'événements politiques et culturels. Son histoire est le fruit d'influences multiples de la Grèce antique aux Ottomans jusqu'à la Turquie contemporaine (c'est le lieu de naissance d'Atatürk), dont elle exhibe fièrement les monuments. On en profite pour flamber en buvant des bières dans un bar animé, c'est bon quand même de revivre nos petites habitudes Lyonnaises! On rejoint la côte méditerranéenne pour quelques jours de paradis : route déserte, paysages magnifiques, temps merveilleux. Les emplacements de camping s'enchaînent tous plus idylliques les uns que les autres, alors on ne résiste pas. On en profite même pour faire un plouf à la mer, mais l'eau est encore bien froide. Alors quand on voit sur un panneau "source chaude" à 1 km vers l'intérieur des terres, on hésite pas longtemps. D'ailleurs le panneau est barré, c'est forcément qu'il y a quelque chose d'intéressant! Le bout de la route tient ses promesses : une magnifique piscine naturelle, aux eaux transparentes et brûlantes nous accueille. On resterait bien la nuit mais plutôt à l'abris. A côté, les baraquements d'une station thermale abandonnée nous font de l'œil. Il y a des gens devant, ça a l'air squatté. On va voir pour tâter l'ambiance, c'est très "peace"! On demande si on peut passer la nuit, "pas de soucis", "et dans quelle piaule?", on nous en montre une, laissée depuis peu avec un matelas, un poële et des fenêtres à peu près étanches, nickel! Le soir on discute avec Georg, un Allemand "en dehors du système". Jugez plutôt : activiste anarchiste, en voyage depuis 25 ans, sans portable ni compte en banque, à faire des petits boulots au besoin. D'après lui, la Grèce est le pays le plus libre d'europe. On peut y circuler plus librement, les squats sont tolérés on peut avoir une activité sans être contraint à suivre tout le temps les normes, bref plus de place pour une vie alternative. Cela fait réfléchir en ces temps de surveillance massive. A mesure que nous nous rapprochons de la frontière turque, l'ambiance se tend. Nous sommes en pleine crise des migrants syriens envoyés par le gouvernement turc à la frontière grecque pour passer clandestinement en Europe. Un mécanisme assez abject qui consiste à utiliser des humains en détresse pour servir sa politique de pression sur l'Europe. Ajoutez à cela le coronavirus qui commence à se répandre en Europe, et nous vivons des derniers jours bizarres en Grèce. Nous inspirons la peur à Alexandroupoli quand nous demandons un hébergement. Oui la peur, entraînant des rejets violents! On finira sur une terrasse de resto fermé sous une pluie battante. Le dernier jour, à l'approche de la frontière, une voiture sur deux que nous croisons est un véhicule militaire. Et le soir, nous nous heurtons à la grande méfiance des gens (cf article précédent sur le coronavirus).
Cet article est assez long, et encore on a pas tout mis. On ne pensait pas avoir envie de raconter autant de choses en le commençant. C'est un pays qui a du charme sous bien des angles : culinaires, culturels, douceur de vivre. Les Grecs vont bien avec le paysage : chaleureux, simples, bons vivants. Il entretiennent une relation ambigüe avec l'Europe : fiers d'être l'un berceau de sa culture et de son nom, mais meurtris par le traitement qu'ils ont reçus pendant la crise. En tout cas, on a bien envie de revenir y passer un peu plus de temps!
5 Commentaires
Michel Maccagnan
5/3/2020 04:29:04 pm
On vous suit sur le site. Bravo pour l'article plus long. Courage.
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Aurore et Clément
5/3/2020 05:31:47 pm
Merci Michel! Tu es probablement notre lecteur le plus assidu, en tout cas le plus rapide ;-)
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Christophe et Cathy
5/3/2020 07:40:28 pm
Coucou les Girouettes cacahuètes,
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Alice, Lucie & Yannick
5/5/2020 09:19:19 pm
Salut vous deux !
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Thomas M
5/6/2020 03:10:22 pm
Salut salut,
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Octobre 2020
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